UN TRÈS GRAND MOMENT D’HISTOIRE DE L’ART… « CONTEMPORAIN » :

Le « procès de Moscou » de trois hérétiques contempteurs du dit  art contemporain »

C’était le  26 avril 1997 dans le grand amphi de l’école des Beaux-Arts de Paris, à l’occasion du colloque intitulé « l’art contemporain : ordres et désordres ».

Un livre à venir pour ce moment historique

J’ai appris qu’un livre non encore publié existe, de Valérie Rossignol, intitulé « L’affaire Domecq » où l’on pourra trouver la narration la plus précise et les documents les plus probants, sur l’événement que je vais rappeler, pour qu’il soit un jour complètement exploré. Car ce ne fut pas rien que cet événement, tellement révélateur de la censure perpétrée par les dominants en art contemporain, que ce livre n’a pas encore trouvé d’éditeur suffisamment courageux pour le publier. Pourtant, le jour où il sera à la disposition de tous, il aura à coup sûr valeur de témoignage historique…Nous attendons ce livre avec impatience

Un procés pour répondre  à la « crise de l’art contemporain »

Cela s’est passé le 26 avril 1997 dans le grand amphi de l’école des Beaux-Arts de Paris,( image jointe) à l’occasion du colloque intitulé « l’art contemporain : ordres et désordres ». Ce colloque avait été conçu et organisé par Jean-François de Canchy, délégué aux Arts plastiques au ministère de la Culture et Alfred Pacquement, directeur de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts. Il devait répondre à l’inquiétude des réseaux institutionnels face à la « crise de l’art contemporain » analysée par de nombreux textes et articles, déconstruisant un certain art contemporain dominant, de Jean Clair, Jean-Philippe Domecq, Jean Baudrillard et d’autres.

Un piège officiel

Faisant et voulant croire qu’il s’agissait d’une resucée de la « Querelle des Anciens et des Modernes », la pensée officielle diabolisa ces textes contradicteurs en les faisant passer pour des brûlots nauséabonds, réactionnaires et annonciateurs du retour de la « bête immonde » extrême-droitière.

La France ne bruissait plus que de cela, la presse multipliait tribunes et dossiers. Il s’agissait donc pour les réseaux officiels bien-pensants, s’appuyant sur le ministère, sur France-Culture, le journal Le Monde et la revue d’Art Press qui tous deux avaient bien jeté aux chiens les écrits malfaisants en les amalgamant au refus réactionnaire de la nouveauté artistique, d’inviter ces trois dissidents à un débat public où l’on pourrait les clouer au pilori et tuer dans l’œuf ladite bête immonde. Un piège officiel, mixte de manœuvre et d’inconscient d’un milieu qui se défend, comme l’analyse Valérie Rossignol dans ce chapitre du livre en question. Sorte de « Procès de Moscou » culturel.

Mais ce fut plutôt une « Bataille d’Hernani »,

car, manque de chance, la manœuvre de mise au pas s’est retournée contre ses organisateurs. Le procès parut si évident que les mille personnes assistant au débat ont pour leur majorité pris le parti des accusés et conspué les inquisiteurs de service. Une vraie catastrophe. À tel point que le Monde, co-organisateur du traquenard et qui devait en faire un large compte-rendu dans ses colonnes, l’a piteusement réduit à peau de chagrin.

https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/04/29/desordres-et-debats-sur-l-art-contemporain_3762717_1819218.html

Difficile en effet pour ce journal de référence des biens pensants et de idéologiquement corrects, de raconter objectivement l’ambiance de la rencontre, comment son maître d’œuvre Alain Cueff verrouilla les débats, dans les huées et les interruptions incessantes, les invectives, les menaces de coups. Le livre de Valérie Rossignol les restitue, qui plus est dans un récit haut en couleurs…

Voici cet échange d’anthologie entre l’inquisiteur Thierry de Duve et l’accusé Jean Clair :

Je vous livre seulement l’échange entre l’éminent critique-philosophe de l’art, Thierry de Duve, représentant de la doxa officielle, et le dissident Académicien Jean Clair, où l’on voit le premier bien « corrigé » par le second, pour notre plus grand bonheur.`

Quant à l’intervention de Jean-Philippe Domecq, elle fut constamment et violemment interrompue, à tel point que je n’en livre pas d’extraits.

Ces textes ont, comme « par hasard », disparu d’internet, mais on pourra les retrouver in extenso dans le livre mentionné ci-dessus.

Thierry de Duve :

« Ce n’est pas moi qui ai fixé la règle déterminant à quel jeu de langage Jean Clair et moi nous jouons, c’est lui. Il l’a fixée en accordant un entretien à Krisis, la revue d’Alain de Benoist, porte-parole de la Nouvelle droite et l’un des fondateurs du GRECE, le Groupement de Recherche et d’Étude sur la Civilisation Européenne, dont personne ne peut ignorer au vu des événements récents, que sa fonction estde donner une crédibilité intellectuelle au Front National.

Le jeu de langage auquel nous jouons aujourd’hui n’est donc pas philosophique ou scientifique, il est politique.

Jean Clair admet son imprudence et prétend qu’accorder un entretien à une revue n’implique pas la même approbation de sa politique que d’y publier un texte.

Il ajoute qu’un entretien a été accordé alors qu’il était encore directeur de la Biennale de Venise et regrette que sa publication ait été retardée pour coïncider avec, je cite, « un moment funeste de la vie politique française ». Je le crois, mais je ne peux pas le croire naïf.

Jean Clair est un homme qui connaît le fonctionnement des médias, et qui savait que c’était le lieu d’où il parlait, plutôt que ce qu’il dirait, qui allait donner à ses dires l’effet d’une bombe dont le résultat a été la cascade d’articles que vous savez, et qui nous vaut le débat d’aujourd’hui.

Jean-Philippe Domecq, sans doute, et Jean Baudrillard certainement, ont dû faire le même calcul médiatique que lui. C’est cela qui met Jean Clair dans la position du sophiste. Pour le contenu de ses analyses, je le crois aussi sincèrement motivé que moi par la recherche de la vérité, mais lui et

moi ne pourrons pas dialoguer tant que ne seront pas dénoncées puis comprises, puis défaites les prises d’otage inhérentes à certaines, pas toutes, médiatisations du travail intellectuel.

C’est pour moi un grand mystère de comprendre pourquoi un goût passéiste, une tendance à la mélancolie et à la peur des femmes conduisent tôt ou tard, à celui qui les a, à se rendre otage de l’extrême droite car, en fin de compte, Jean, tu es son otage, toi aussi. Pourquoi la fragilité de

l’existence, le besoin de spiritualité dans un monde désenchanté et le nécessaire évidemment de l’art qui témoigne de cela n’apparaissent-ils pas dans cette tendance et cette peur que comme des négativités susceptibles d’être acceptées seulement sur le mode du morbide et jamais du

joyeux, de l’érotique, de l’émerveillement devant l’altérité et la surprise ? Je ne sais pas.

Sans doute parce qu’il ne peut empêcher son regard sans illusions de rester empreint de la nostalgie irrépressible, je cite, de « la beauté naturelle d’un corps désirable et glorieux », comme le dit la personne qui t’interviewait dans Krisis et qui, visiblement, espère de toi une réponse plus optimiste que tu ne lui donneras heureusement pas. Tu l’auras compris, forcé de jouer un jeu de langage dont la règle est de gagner, j’ai tenté de rétablir les conditions d’un jeu de langage dont la règle est de chercher ensemble la vérité. Je préfère la paix à la guerre, et je fais le premier pas en disant bien haut que tu ne mérites pas l’accusation de voter Le Pen, d’être un fasciste ou

un négationniste, ou de prôner un art totalitaire.

J’ai fait ce que je pouvais, mais ne viens pas te plaindre si d’aucuns traduisent, dans tes diatribes, tas de charbon par art dégénéré, grande

peinture par peinture grandiloquente, métier par académisme, ou art français par préférence nationale. Tu l’as cherché. »

Jean Clair:

« Je ne parlerai certainement pas 25 minutes et je ne prononcerai pas de réquisitoire, comme monsieur Thierry de Duve. Je ne me permettrai pas non plus de le tutoyer car « nous n’avons pas élevé les cochons ensemble ». Il m’a semblé que j’ai accepté de venir à

ce qui devait être un débat, sur la condition express que l’allusion à Krisis ne serait pas évoquée.

Dans la mesure où depuis deux mois, j’ai largement eu l’occasion, dans Le Monde et hier dans Les Inrockuptibles, il y a trois jours dans l’émission de Laure Adler, il y a une semaine dans l’émission d’Alain Finkielkraut, de préciser mes positions vis-à-vis de cette revue, et que je ne pensais pas qu’on aurait le culot, en m’invitant à cette soirée aujourd’hui de reprendre cette polémique.

Je vais quand même répondre à Monsieur Thierry de Duve sur un point: sur la soi-

disant capacité révolutionnaire de l’avant-garde. Si j’avais su que le problème Krisis serait à nouveau évoqué, j’aurais préparé mes petits papiers. En l’occurrence, je ne les ai pas, parce que j’ai préparé autre chose, que je vais vous lire. Je voudrais simplement vous lire un texte que je

n’ai pas tiré de Krisis. « Heureux celui qui pourrait se persuader que la culture pourrait vacciner une société contre la violence. Dès avant l’aube du XXe siècle, artistes, écrivains, théoriciens de la modernité ont démontré le contraire. Leur prédilection pour le crime, pour l’outsider satanique, pour la destruction de la civilisation, est notoire. De Paris à Saint-Pétersbourg,

l’intelligentsia fin de siècle, dont Monsieur Thierry de Duve est un bon exemple, flirta avec la terreur. Les premiers expressionnistes appelaient la guerre de leurs vœux, tout comme les futuristes.

Après la Première Guerre Mondiale, le culte de la violence, loin de décliner,

s’amplifia encore. On peut se demander jusqu’à quel point il faut prendre au sérieux ce culte de la violence, dans l’avant-garde européenne. Ces provocations témoignent non seulement d’une haine profonde pour l’ordre existant, mais aussi d’une profonde haine de soi-même ».

Cela n’est pas d’Alain de Benoist, mais de Magnusen Frankensberger. […]

Il y a quinze jours, nous étions quelques-uns à conduire au Père Lachaise, un sculpteur qui a longtemps été professeur dans cette école: c’est Jeanclos. Je me suis souvenu de conversations avec lui en 1979-80, quand il

m’avait confié à quel point la foi, dans une spiritualité dont il venait de retrouver les sources, avait donné sens à son art et surtout le courage de pouvoir à nouveau envisager la figure humaine. Je me rappelle lui avoir demandé, dans une question qui m’a ensuite été posée par Alain de Benoist dans ce numéro de Krisis, comment il pouvait concilier cette foi et

l’interdiction  de tailler les figures.

Il ne me répondit pas mais il me conseilla de lire Martin Buber, et Emmanuel Levinas. J’y ai en effet trouvé les réponses à mes propres interrogations. Il est certain que l’art aujourd’hui, comme hier, mais qu’on nous épargne par pitié les qualificatifs d’avant-garde et de contemporain, ne peut témoigner de l’humanité ou de l’inhumanité de l’homme en l’homme, mais tout le reste, on l’aura compris, n’est que bavardages et futilité. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *