25 ans déjà ! C’était en 1997, je ne m’appelais pas encore Nicole Esterolle, et je ne sais quel insecte m’avais piqué pour prposer un texte àr la page « opinions » de Libération…
Et quelle ne fut pas mas surprise de recevoir le surlendemain, un coup de fil de Jacques Amalric (le papa de Matthieu) , alors rédac-sous-chef de Libé, qui me disait qu’il trouvait mon texte « intéressant » et qu’il allait le publier…au risque de se faire engueuler par ses collègues à leur retour de vacances de neige.
Ça n’a pas manqué… Et le rédac-chef de faire appel à Eric Duychaerts, artiste-prof de foutage de gueule à l’Ecole d’art de je ne sais où, champion de l’humour belge ravageur, apologiste du non-sens et de la déconstruction mentale, …pour un droit de réponse vengeur, à la mesure de l’affront que j’avais commis envers la bien pensance progressiste portée par Libé…( allez découvrir sur internet les performances de ce plasticien multi-dsciplinaire franco-belge : ça vaut le déplacement)
Il y a avait même eu un deuxième texte encore plus vengeur, que je découvre aujourd’hui, intitulé « L’art et l’ignorant », et qui me nazifiait sans aucune retenue, ni vergogne.
Je vous joins donc ci-dessous, ces trois textes, qui méritent qu’on leur consacre 10 minutes de lecture…Les deux « réactions » à mon texte, sont un condensé des éléments de langage et de pensée et de la stratégie de torture du sens commun, propres aux agents fonctionnarisés du progressisme artistique institutionnel depuis 50 ans.
1 – ART CONTEMPORAIN , TERRITOIRE DE NON-SENS, ÉTAT DE NON-DROIT
(Mon texte publié dans Libé le 30 décembre 1997)
L’art contemporain apparaît aujourd’hui comme un monde où tout serait permis, où les notions de bien, de beau, de digne n’auraient plus aucun sens. Territoire de non-sens, état de non-droit.
Premier exemple, lorsqu’on entend Daniel Buren affirmer: «Ceux qui vomissent mon oeuvre sont les petits-enfants de ceux qui crachaient sur Renoir», on croit rêver devant un aussi colossal manque de vergogne, on est stupéfié par cette conjugaison inouïe de toute la fatuité, la bêtise, la malhonnêteté et la misère du monde (car, enfin, rien ne prouve que, si Renoir était encore de ce monde, il n’exécrerait pas Buren, comme le plus beau crachat qu’on n’ait jamais fait sur son oeuvre), on se dit que non, une personne aussi intrinsèquement indigne ne peut avoir acquis le statut et la notoriété planétaire qu’on lui connaît, on se dit qu’il y a là quelque chose qui échappe au droit et au sens communs.
Deuxième exemple: lorsque Catherine Millet affirme en 1992: «Pour que ce siècle ne finisse pas aussi bête qu’il a commencé, j’ai encore du pain sur la planche», alors là, on est carrément assommé par cette bouffée d’arrogance aveugle et de bêtise à la puissance deux. On se dit que non, cette personne ne peut être celle qui incarne, depuis plus de vingt ans, la pensée officielle de l’art contemporain français. On se dit que, là encore, il y a une anomalie dans l’ordre du droit et du sens.
Troisième exemple (et le dernier » mais il y en a des milliers): quand la revue Art Press (de la même Catherine Millet) est considérée comme la plus intelligente du monde de l’art, alors que son obsession à vouloir évacuer de l’oeuvre d’art tout mystère sensible est le symptôme le plus éloquent de sa cécité et de sa stupidité de fond » alors, on se dit qu’il faut chercher quelque explication à cette grosse anomalie que semble être ledit «art contemporain» dans son acception officielle.
Car tout se passe comme si ce territoire de «l’art contemporain» se situait hors du champ de la gravitation terrestre, dans le champ d’un inouï, d’un indépassable et d’un transcendantal très particuliers.
Comme si nous étions là, dans un monde à l’envers, où plus aucun repère éthique autant qu’esthétique ne serait opératoire » Un monde où tout serait permis, où les notions de bien, de beau, de digne n’auraient plus aucun sens » Un espace de vide éthique, esthétique, juridique, où tout ce qui est faux, honteux, odieux, inepte, disqualifiant et déshonorant dans tout autre domaine de la vie sociale deviendrait miraculeusement, ici, objet de culte, de promotion, de publicité, de reconnaissance, de commerce, d’enjeu culturel majeur » Un territoire de non-sens et de non-droit absolus » Un territoire d’exception et de totale dérogation aux lois et règles élémentaires de la vie en société humaine » Bref, un grand Ubuland où régnerait une sorte d’idi-amin-dadaïsme étatique sur fond d’institutionnalisation-banalisation-pédagogisation de l’inepte. Comment donc en est-on arrivé là?
Certes, il est vrai que l’art a toujours procédé par ruptures, déconstructions, dépassements, transgressions successives des modèles qui le précédaient, qu’il a toujours joué aux limites de règles et conventions tant morales qu’artistiques » mais tout se passe aujourd’hui comme si un mécanisme diabolique s’était emparé du «procédé», l’avait systématisé, accéléré, fermé et retourné sur lui-même, de telle sorte que les règles de transgression sont elles-mêmes transgressées, sans aucun contrôle ni régulation extérieurs.
C’est donc ce mécanisme-là de retournement du sens qu’il faudrait démonter, décortiquer en urgence pour savoir le pourquoi de cet état de non-droit et de non-sens dans un domaine où, précisément, l’exigence de sens, de justice, de vérité, de respect humain est la plus indispensable. Ce travail d’analyse et d’information en rien polémique, puisqu’on ne polémique pas avec l’inepte permettra, en réinsérant l’art contemporain dans la société, de faire que celui-ci redevienne territoire de sens et état de droit.
2 – RÉPONSE D’ ERIC DUYCKAERTS À « UN ZÉLATEUR DU DROIT ET DE SENS EN ART »
Nostalgiques du sens en art, tournez-vous vers la religion! Nostalgiques du droit, vers l’académisme! Pour le non-sens et le non-droit en art.
Le débat sur l’art contemporain ne vole pas toujours très haut. Mais monsieur NE (Libération du 30 décembre 1997) vient de produire un des textes les plus rigolos de cette brève histoire. Le territoire de l’art contemporain qu’il qualifie d’officiel serait devenu celui du non-sens et du non-droit. Voilà un excellent programme: quel artiste voudrait se voir assigner une place définie dans le sens et le droit?
Ce qu’il y a de plus amusant dans l’article cité, c’est que son auteur semble ignorer que le sens et le droit sont des notions pour le moins problématiques. Pour ce qui est du sens, la philosophie se débat avec les difficultés de sa conceptualisation depuis le début du siècle, au moins. Qu’il me suffise, à cet égard, de citer les noms de Gilles Deleuze (1) et de Léonard Linsky (2), pour prendre deux extrêmes. Si monsieur N.E. détient une définition du sens, qu’il nous la livre. L’humanité lui en sera reconnaissante. Pour ce qui est du droit, deux exemples entre mille, les juristes Lucien François (3) et Jean Carbonnier (4) intitulaient respectivement deux de leurs ouvrages le Problème de la définition du droit et Flexible droit. Flexibilité et problème de définition: les spécialistes ne sont pas aussi à l’aise que ce monsieur N.E.. S’il détient une définition du droit, qu’il nous la livre. Jean Baudrillard aussi faisait appel au droit pour qualifier l’état de l’art contemporain. Il parlait de «délit d’initié» une infraction que la Commission des opérations boursières est chargée de combattre. Le court-circuit de Baudrillard était bien plus intéressant que les considérations de monsieur NE
Les nostalgiques du sens en art feraient mieux de se tourner vers la religion. Les nostalgiques du droit en art feraient mieux de se tourner vers l’académisme.
Bien sûr, concède l’auteur, l’art se nourrit de transgressions, mais, attention, celles-ci doivent s’opérer dans les règles. Lesquelles?
Pour qu’il y ait polémique, il faut que les adversaires soient sur le même champ de bataille. C’est pourquoi monsieur NE refuse la polémique. Il en appelle à l’analyse du prétendu retournement du sens, loin de l’inepte d’acteurs réels de l’art contemporain réel. On se demande de quoi il va parler et avec qui.
Voici ce que je suggère: qu’il ne parle qu’avec des gens qui sont d’accord avec lui. Deux citations ouvrent l’article de monsieur NE. La première est de Daniel Buren. Il aurait pu choisir plus violent dans les 500 pages publiées par Buren (5): un artiste dont la fécondité «sensible» pourrait sans déshonneur lui épargner l’écriture de nombreux textes souvent polémiques. Il s’y colle: allons donc y voir avant de l’insulter. D’ailleurs, il est fort possible que «ceux qui vomissent son oeuvre soient les petits-fils de ceux qui vomissaient Renoir». C’est une thèse qui ouvre à la discussion. Il est imprudent de l’écarter d’un revers de la main. Monsieur NE n’a vraisemblablement pas lu Bourdieu la proposition de Buren pointe le phénomène de reproduction des élites.
La seconde citation est de Catherine Millet: une autre personne qui, dans sa revue, se livre à la polémique. Je passe sur la surdité de monsieur NE quant à l’évidente ironie du propos de Catherine Millet. Le fait est que la polémique déplaît à monsieur NE. Comme la transgression non réglée. Comme le non-droit. Comme le non-sens. Mais alors, mon adjudant, vous ne voulez voir qu’une seule tête dans l’art contemporain? L’art contemporain n’existe pas comme un tout. Il est souvent difficile, parce qu’il lui arrive souvent de transgresser son code de transgression. Pour mon travail de création artistique, j’ai le plaisir de revendiquer contre monsieur NE le non-sens et le non-droit.
Eric Duyckaerts
(1) Par exemple: Gilles Deleuze, Logique du sens.- (2) Léonard Linsky, le Problème de la référence, Seuil, 1974. -(3) Lucien François, le Problème de la définition du droit, faculté de droit, Liège, 1978. -(4) Jean Carbonnier, Flexible droit, LGDJ, 1995.
3- LÀ OÙ L’ON ATTEINT LE POINT GODWIN
L’art et l’ignorant.
Nous avons été atterrés par l’article de NE consacré à l’art contemporain et publié dans Libération du 30 décembre. Nous pensons que dans son aveugle colère, l’auteur passe à côté de l’essentiel. Quelle importance pour l’art contemporain que quelques artistes et quelques critiques soient un peu vaniteux (ce que ne prouve pas Mr NE, mais qu’il tente de faire croire). Quelle importance pour la signification de l’art aujourd’hui, pour la compréhension de la place qu’il occupe, pour la critique de la production artistique? Aucune.
Le coeur du débat est de savoir comment reconnaître dans la masse de la production le bon du mauvais, comment replacer des repères, quels repères placer. Il faut d’abord se garder de projeter sa propre incapacité à juger, à lire l’histoire, à comprendre d’autres repères. Ce qui nous énerve dans cet article, c’est la fatuité de l’ignorant. Il est faux de dire que tout est permis, qu’il s’agit d’un territoire en dehors du monde. L’art est dans le monde, le bon, le mauvais, celui que Mr NE attend, celui qu’il abhorre, la transgression et l’académisme. Il est impératif de ne chercher que des artistes qui répondent aux critères que l’on s’est fixés et de rejeter les autres sans vergogne. Ce qui est effrayant dans ce texte, c’est que quelqu’un apparemment qualifié puisse dénigrer des oeuvres pour ce qu’elles ne sont pas, sans se poser la question de savoir ce qu’elles sont. Ce qui est dangereux, c’est cette tentative de faire accroire qu’une partie de l’art contemporain évolue sans repères, au mépris du public, de manière autarcique et que, par conséquent, il n’a aucune valeur et surtout qu’il ne mérite aucune reconnaissance officielle et, in fine, aucun droit à se trouver dans des collections publiques ou à bénéficier de deniers publics. Il s’agit d’une tentative d’isolement, de réduction de ce que les philistins ne comprennent pas afin de promouvoir un art populaire, juste, digne, moral. Cette technique est ancienne et fut déjà opérante à la fin du premier tiers de ce siècle, à Weimar par exemple… Ben voyons Ginette !
C’est la problématique du « bon sens » toujours plus ou moins perdu de vue et rappelé à l’ordre du jour. Combien parmi nous ont fuit ce bon sens familial navrant…. pour faire appel à lui à un âge avancé. Non, le vrai problème, c’est l’institution de la transgression. C’est une vrai détresse pour la liberté de créer, que l’État se prenne pour le creuset de l’art contemporain. C’est un malheur bien français de vouloir être gouverné par un pouvoir « éclairé » dont le rêve est de nationaliser la délinquance libertaire propre aux artistes.