DE LA DICTATURE DE LA BOUFFONNERIE EN ART CONTEMPORAIN

Bertrand Lavier : ours en peluche au sourire vicieux, trouvé dans une poubelle (Collection Pinault et De Galbert)

Texte écrit par Nicole Esterolle et paru en Mai 2115, dans l’excellent revue «  L Œuf Sauvage » de Claude Roffat

Le facétieux Maurizio Cattelan est l’un des artistes les plus chers sur le marché mondial de l’art contemporain, parce que, probablement, il est aussi l’un des plus bouffons . On se souvient de cette fameuse plaisanterie réalisée à Milan, il y a quelques années, pour laquelle il avait pendu nuitamment aux branches d’un arbre du centre-ville quelques mannequins d’enfants parfaitement imités et dont la découverte matinale avait mis en joie tous les riverains de la place pour le reste de la journée… Bel exemple de renforcement du lien social par le pouvoir de terrifiante hilarité de l’art contemporain.

On connaît le gros homard de Jeff Koons accroché dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles : quelle rigolade ! On connaît le tableau de mouches écrasées de Damien Hirst : quels gloussements dans la volaille ministérielle !… On connaît le très rigolo fou du roi Labelle Rojoux, professeur de foutage de gueule à la Villa Arson. On connaît aussi l’esprit mutin et pince-sans-rire de Bertrand Lavier, l’artiste français le moins mal placé dans le top 500 des stars internationales de la poilade artistique, toutes championnes à des degrés divers de la dérision, de l’autodérision, du sarcasme et de l’entartage de gueule désopilant.

Lorsque les ouvriers des aciéries de Florange ont appris que leur patron, Monsieur Mital, qui, d’un côté les licenciait pour faire des économies, avait par ailleurs dépensé 24 millions d’euros pour la tour des Jeux Olympiques de Londres conçue par le Financial contemporary artist Anish Kapoor, cela les a, paraît-il, grandement mis en joie. Quand en- suite, on leur a annoncé que leur haut-fourneau désaffecté serait bientôt « mis en lumière » pour un millions d’euros par l’ambianceur Claude Lévêque, autre Financial contemporary artist de la Galerie Yvon Lambert, comme il avait été précédemment procédé pour le haut-fourneau U4 d’Uckange, alors, ils se mirent à danser le sirtaki autour de leur représentant syndical.

L’art contemporain semble donc , comme le prozac , le remède de plus en plus indispensable, en ces temps de récession économique et de baisse du moral des ménages, pour redonner, un peu de gaieté au cœur à tous ceux qui souffrent de la dureté du temps. Égayant en effet d’apprendre qu’il existe depuis peu des tasses à café signées Daniel Buren. Rigolo de découvrir la ligne de bottes en caoutchouc décorées de haricots multi- colores signés Claude Viallat. Réconfortant de savoir que Rüdiger Weng, de la galerie chinoise Weng Fine Art, l’un des marchands d’art les plus influents du monde, vient d’annoncer un chiffre d’affaires en hausse sur les six derniers mois, de près de cinq millions d’euros et un résultat net après impôt de 1,3 millions d’euros ; et cela pour moins de dix salariés payés au SMIC.

Hilarante cette performance du plasticien Abraham Poincheval, qui s’est fait emmurer dans les fondations de la galerie Histoire d’un jour à Marseille, pour y passer « 604.800 secondes », titre de la performance, enfermé dans un trou de 62 cm de diamètre et 1,70 m de profondeur recouvert d’une énorme pierre, privé de lumière et dans l’impossibilité de s’asseoir ou se coucher.

Cocasse cette exposition intitulée  « Sperm », à la galerie Métro Pictures, de New York, de l’artiste Andreas Slominski qui, comme son nom l’indique, présente au public de la semence humaine et animale dispersée dans la galerie, sur les murs ou au sol. Avec notamment l’œuvre Sperm of a Black Panther (2012) constituée du sperme de l’animal sur une paire de sandales, mais aussi de Sperm of Two Pilots ou du sperme humain exposé au mur au dessus de bottes de foin (L’artiste, nous dit-on sans rire, porte beaucoup d’importance au principe de ferti- lisation qu’il considère, à juste titre, comme étant la clé de l’existence ).

Enthousiasmante pour nos valeureuses Gueules noires cette exposition en pays minier, intitulée Age of Coal, « qui se penche sur la manière dont le charbon a influencé et défini la production artistique », et où ils pourront voir le fameux sac de charbon suspendu au plafond de l’expo- sition surréaliste de Paris par Marcel Duchamp, en 1938, et le non moins historique tas de charbon de Vernar Benet en 1965 à New York.

Tonifiante pour la santé du marché que cette vente chez Sotheby’s d’un sac de 150 kilos de graines de tournesols en porcelaine du célèbre dissident chinois Ai Wei Wei, au prix de 140 000 euros. Bidonnant de savoir que les 1600 ouvriers qui ont réalisé ces 10 millions de graines en porcelaine peinte — ce qui permet d’estimer la valeur totale des graines d’un poids de 150 tonnes, à la valeur totale de 210 millions d’euros — n’ont pas touché un centime sur la plus-value. Poilant d’apprendre que c’est ce même artiste dissident chinois qui va représenter l’Allemagne à la prochaine Biennale de Venise – et qu’un dissident allemand va y représenter la Chine et que l’éternel dissident Buren va y représenter le Burenistan Hexagonal…

Mais le plus désopilant, c’est bien Bertrand Lavier

On pourrait, au-delà de ces quelques exemples pris au hasard, citer des centaines, voire des milliers, d’opérations art contemporain toutes plus roboratives et stimulantes les unes que les autres pour le moral du citoyen que l’inepte fait rigoler. Mais il y en a une qui semble vouloir les couronner toutes, c’est celle de Bertrand Lavier que l’on a pu voir récemment au Centre Pompidou. Avec la « subtilité d’esprit » de Bertrand Lavier en effet, nous dit Philippe Dagen, le critique d’art le plus marrant de la place de Paris, « On ne compte plus les musées, biennales, expositions personnelles et collectives où ses objets et installations ont fait entendre son rire, celui du pastiche, du sacrilège, de la parodie et de l’absurde ». D’une désopilante subtilité, en effet, ce Bertrand Lavier, quand il réaffirme comme l’un de ses maîtres Franck Stella, que la peinture sur la toile doit être aussi belle que la peinture dans le pot ou dans le tube, et que c’est la raison pour laquelle il prend parfois le parti de ne pas même la sortir du tube et de peindre le tube d’une autre couleur que celle qu’il y a dedans. (Kolossale finesse à la Francis Blanche ou Pierre Dac, qui, me dit-on, avaient fait quelque chose dans ce genre il y a cinquante ans).

Distrayant, quand il repeint en blanc un réfrigérateur déjà blanc et qu’il installe un gros caillou dessus, on ne sait trop pourquoi, sinon pour que la pièce ainsi formée soit évaluée à 900 000 euros dans la Collection qu’Yvon Lambert a donnée à la France. Comique, et récréatif pour collectionneurs d’art africain, quand il coule en bronze ou en métal chromé des statuettes Dogon. Divertissante, sa façon de « bouleverser les codes de la peinture et de la représentation », quand il monte sur socle une tronçonneuse électrique achetée 125 euros chez Castorama et que cette petite facétie à trois balles est estimée aujourd’hui à 90 000 euros dans la prestigieuse collection avignonnaise de Lambert. Burlesque en diable quand il précise que « Teddy, l’ours en peluche (100 000 dollars), ne doit rien au hasard, qu’il ne l’a pas trouvé abandonné dans la rue, mais acheté aux puces et choisi pour son air vicieux »…

Réjouissant de l’entendre dire : « Oui, je ne mesurais pas à quel point mes pièces ont un côté narratif », avec l’ éternel sourire jaunâtre de son nounours vicieux et son allure sournoisement modeste de vieux dandy farceur post-duchampien de sous-préfecture, toujours prêt à dégainer une formule sibylline, façon plaisanterie éculée ou perfidie bien faisandée au sujet de l’art, des artistes et de la société de communication…

Esclafatoire de l’entendre dire qu’il a fait des études d’horticulture et que « c’est losque j’ai  compris que l’art contemporain n’était pas de l’art, que je suis devenu artiste contemporain »…(Il affirme cependant dans un entretien récent qu’il n’est pas artiste contemporain, mais artiste d’avant-garde…) Enfin, qu’importe !

Très drôle de savoir qu’il a commencé sa carrière en peignant en blanc les feuilles d’ampélopsis (vigne vierge) de sa maison, que cela a plu énormément à l’énorme et talentueux critique d’art Pierre Restany, qui l’a présenté à l’exquise Catherine M., etc. Réconfortant quantd il précise : « On parle toujours, à mon propos, de ready-mades. Mais ce n’en sont pas. Je crois avoir échappé à Duchamp, être au-delà »… Car voici un artiste qui dépasse de loin Marcel Duchamp et Daniel Buren réunis, en matière de drôlerie, bien plus marrant en effet, plus poilant, plus enjoué, plus primesautier, que sais-je ? Plus performatif dans la sollicitation des muscles zigomatiques et des glandes à hormones de la joie.

Tordante cette info nous apprenant que l’éminent Pierre Sterck qui officie à Beaux-Arts Magazine, a écrit dans un livre nommé 50 géants de l’art américain que Bertrand Lavier était le seul artiste d’importance apparu en France dans la seconde moitié du XXe siècle ! Très drôle la parution de ce bouquin au moment même où était mis en lumière le rôle étrange de la CIA dans la promotion de l’art américain dans les années 1960.

Et pourquoi donc ce formatage à la bouffonnerie?

Il apparaît donc que la totalité du champ de l’art dit contemporain est soumis à la dictature de la bouffonnerie institutionnelle et marchande. C’est la permanente apologie de la dérision, du kitsch, de la farce de mauvais goût, du désenchantement, de la déconstruction, de la transgression, du cynisme odieux, du questionnement sociétal pervers, de la pantalonnade grossière et du vulgaire foutage de gueule… Et pourquoi donc ce formatage à la bouffonnerie? Eh bien, tout simplement pour vider l’art de tout contenu sensé, de toute intériorité sensible, de toute poésie, de tout mystère, de toute spiritualité, de toute dignité, de toute transcendance ; pour lui enlever toute dimension véritablement artistique ; pour le placer hors de tous critères d’ordre esthétique autant qu’éthique ; pour faire en sorte que, de l’art, il ne reste plus que le mot, l’idée, l’enveloppe totalement vide …

Et tout cela, au bénéfice de qui ?

Eh bien pour la plus grande gloire de toute cette armée d’apparatchiks bureaucrates à la charge du contribuable, fonctionnaires, préposés à la culture, professeurs de rien, théoriciens de l’absence, fellateurs du néant qui ont ainsi, avec un art vidé de son contenu, la possibilité de le combler par un discours illimité, par une enflure rhétorique délirante, qui devient dès lors instrument d’aliénation par asphyxie, en même temps que signe d’appartenance à leur communauté d’initiés fermée sur elle- même. L’ « art sans art » ou l’ « art sur l’art » est aussi une revanche à leur foncière incompréhension de l’art, une justification de leur monstrueuse consanguinité, une arme de dissuasion par la terreur intellectuelle qu’ils peuvent dès lors exercer grâce au caractère éminemment pervers de cette injonction à la désobéissance et de cet impérialisme de la rigolade.

Mais le plus enthousiasmant , c’est la collusion entre art d’Etat et l’art finacier

C’est de voir que cette armée de sbires patentés au service de l’art d’Etat, est aussi et d’abord au service du financial-art international, prouvant ainsi que art institutionnel payé par le bon peuple et art spéculatif au profit des ultra- riches, sont structurellement indissociables : l’un dans la spéculation intellectuelle de type soviétique, l’autre dans la spéculation financière de type capitaliste. De telle sorte que ces deux formes de dictature du non- sens puissent, à la faveur de cette bouffonnerie généralisée, conjuguer et additionner leurs vertus respectives : le bolchevisme allié à l’ultra- libéralisme pour le partage du même cynisme, du même mépris et de la même incom- préhension du contenu sacré de l’art… Le fonctionnaire gagne-petit de l’art officiel devenant copain comme cochon (ou comme larrons en foire) de l’art bien entendu de type FIAC — avec le collectionneur milliardaire oligarque poutinien inculte, sous le regard bienveillant de toute la criticaillerie d’art complice veule du système. Et pendant ce temps-là, 95% des artistes d’aujourd’hui, qui ne veulent pas s’inscrire dans cette gigantesque farce totalitaire de l’art dit contemporain, sont disqualifiés, isolés, humiliés, démoralisés, rayés de l’histoire. Les galeries prospectives aussi, le public des vrais amoureux de l’art aussi…

Mais le pire, c’est la deshumanisation de l’art

En effet,  au-delà de ce que cette bouffonnerie a de terrifiant en termes de déshumanisation de l’art, de destruction des valeurs patrimoniales , de saccage des richesses naturelles , de pollution mentale et visuelle, etc., c’est que soviétisme et ultra-libéralisme deviennent, de fait, les alliés objectifs d’un troisième réjouissant partenaire, celui qu’ils désignent pourtant comme la « bête immonde » alors qu’ils contribuent à la nourrir et à la crédibiliser par réaction à leur arrogance.

Avec l’art dit contemporain, nous sommes donc en présence d’une « bête immonde » tricéphale, d’un fascisme triplement pervers et d’un totalitarisme à la puissance trois…

Et il n’y a pas de quoi en rire.

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