
Heureusement qu’il y a de moins en moins d’argent public pour y fourrer de nouvelle acquisitions … Heureusement qu’il y a de moins en moins de public…y compris celui que certains FRAC ont invité pour visiter ces réserves engorgées et admirer les caisses d’emballage en interdisant de regarder ce qu’il y a dedans.
On est même incapable d’évaluer ce que coûtera le transport des 90% d’œuvres inregardables de FRAC vers les poubelles de l’histoire de l’art.
On est en plein cauchemar kafkaien ou Borgessien.
Quand le public est invité à constater l’engorgement ;
Voici l’article du JOURNAL DES ARTS ,
qui poursuit allègrement son enquête sur les réserves d’œuvres d’art, en explorant notamment les questions d’engorgement, de conservation, et de coût qui concernent autant les musées que les Frac.
En septembre 1994, un colloque sur les réserves, organisé par le Musée des arts et métiers, marquait le début d’une longue réflexion. Ce colloque accompagnait le projet de réserves externalisées du musée en Seine-Saint-Denis, premier projet de ce genre pour un musée national, encore cité en exemple aujourd’hui en raison de ses dimensions (8 000 mètres carrés). La directrice déléguée du Centre de conservation du Louvre (CCL) à Liévin, Marie-Lys Marguerite, évoque ces réserves ouvertes en 1994 comme « un des modèles pour toutes les réserves externalisées » (le CCL fait 19 000 mètres carrés, dont 9 500 de réserves). En 2014, un rapport de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a étudié la situation des musées français en rédigeant un long chapitre aux réserves, signe que le sujet était devenu critique. Enfin en 2024, le Conseil international des musées (Icom) a consacré un rapport et un colloque international aux réserves muséales, avec le constat que « la situation des réserves est évaluée de manière assez défavorable par la majorité des musées interrogés, notamment […] le manque de place et le manque de matériel ». Après être resté dans l’ombre pendant plusieurs décennies, l’enjeu des réserves muséales devient donc central. Car les réserves ne sont pas de simples espaces de stockage sécurisé, et depuis la loi de janvier 2002 sur les musées, elles font partie intégrante du Projet scientifique et culturel des établissements. Au Musée de l’hospice Saint-Roch d’Issoudun où le deuxième bâtiment de réserves vient d’être inauguré, le directeur Patrice Moreau précise ainsi que « le projet de réserves a été inscrit dans le PSC dès 2019 ».
Pas assez d’espace pour accueillir les nouvelles œuvres
Parmi les problèmes évoqués par les directeurs de musées, le manque d’espace revient régulièrement et c’est un des principaux arguments du rapport parlementaire de 2014 et de celui de l’Icom. Le rapport de 2014 pointe l’accroissement constant des collections par les acquisitions et l’inaliénabilité qui empêche de céder ou vendre des œuvres. À cela s’ajoutent les donations parfois volumineuses, comme à Issoudun où Patrice Moreau signale« une donation de sculptures monumentales » qui ne pouvait intégrer les premières réserves saturées. Alexandre Estaquet-Legrand, directeur du Mudo, musée de l’Oise (Beauvais), indique un risque similaire lié à une donation de céramiques importante par le nombre de pièces. Cependant, il serait réducteur de regarder les réserves uniquement sous cet angle, car elles contribuent aussi aux missions de conservation des musées, ainsi qu’au récolement décennal obligatoire. Il n’est pas rare que le sujet des réserves resurgisse lors de grands travaux de rénovation, lors d’un chantier des collections, voire les deux. Robert Blaizeau, directeur de la Réunion des musées métropolitains (RMN) de Rouen, explique que « les travaux au musée Beauvoisine ont entraîné le déménagement des collections et un remaniement des réserves » associé à un projet de centre de conservation. Autre problème, l’éparpillement des réserves en plusieurs lieux : le Louvre avant le CCL entreposait ses collections dans soixante-sept réserves réparties au sein du Louvre même et plusieurs entrepôts en région parisienne. De nombreux musées sont confrontés au problème de la location de réserves privées, majoritairement situées aussi en Île-de-France : les trois musées de Rouen concernés par le pôle Beauvoisine (500 000 pièces) disposent actuellement de plusieurs réserves externalisées « dont une en région parisienne », selon Robert Blaizeau. Dans les années 2000, le Musée national d’art moderne louait des réserves dans le nord de Paris pour 2 millions d’euros annuels, un coût souligné par le rapport de 2014. Les conditions de conservation des œuvres ou objets peuvent aussi être médiocres, notamment dans les monuments historiques où le bâti impose des contraintes. Au château de Blois, le Musée des beaux-arts dispose de réserves sur place, dont certaines ne sont pas adaptées : le directeur Bastien Lopez explique ainsi que le mobilier est « entreposé au dernier étage de l’aile François Ier, sans ascenseur ». Le Mudo, qui dispose de réserves externes depuis 2015-2016, entreposait auparavant des œuvres sous les combles de l’aile Saint-Pierre du palais épiscopal, une partie du musée qu’Alexandre Estaquet-Legrand qualifie de « véritable passoire thermique ».
La mutualisation des réserves, une solution de bon sens
Les nombreux projets d’agrandissement de réserves révèlent deux tendances fortes : l’externalisation et la mutualisation. Le rapport de 2014 prônait les deux, tout en concédant que les musées n’étaient pas tous égaux en termes financiers et logistiques. La mutualisation présente de nombreux avantages, notamment financiers : en France, 82 % des musées sont gérés par une collectivité locale, et rassembler les collections des musées locaux et les activités de conservation en un même lieu semble rationnel. C’est le choix de Marseille, Nancy, Reims, Rouen, Tours, Strasbourg et Rennes ces dernières années, comme la plupart des villes de plus de 100 000 habitants. À noter que dans les Hauts-de-France où existent des dizaines de musées, la mutualisation des réserves reste rare pour des raisons de gestion des tutelles (une étude de la DRAC Hauts-de-France sur la mutualisation des réserves, initiée en parallèle de l’annonce du CCL, est restée lettre morte). Quelques communautés d’agglomération et départements ont également choisi la mutualisation, comme Quimper pour les musées du Finistère en 2013, et le Département du Nord pour les musées de quatre communes de La Porte du Hainaut en 2024. Le cas des musées nationaux est différent, car jusqu’à présent ils choisissaient de construire leurs propres réserves (Louvre, Mucem, Arts et métiers). Une exception récente à noter : le Centre Pompidou et le Musée national Picasso Paris se sont associés pour construire des réserves à Massy, incluses dans un centre de conservation avec une programmation culturelle. Les autres musées s’adaptent, dégagent des espaces au sein de leurs établissements ou font construire de petites réserves externalisées (Musée du Pays de Cocagne à Lavaur).
La question financière reste centrale dans ces projets qui peuvent atteindre plusieurs millions d’euros :les élus sont-ils conscients de l’importance de financer des réserves ? À Rouen, où les réserves et le centre de conservation coûteront 7 millions d’euros, Robert Blaizeau ne signale aucune opposition des élus locaux, « même si un projet de réserves muséales n’apporte pas de visibilité politique immédiate ». Même soutien à Issoudun, où Patrice Moreau note que« la ville soutient le musée et lui donne les moyens de conserver les collections ». À Massy, en revanche, le projet du Centre Pompidou suscite des critiques de l’opposition municipale, qui s’interroge sur le financement :la Ville va apporter 21 millions d’euros sur 69 millions, alors que le bâtiment appartiendra à l’État. Le coût financier amène parfois les collectivités à retarder ces projets de plusieurs années, avec des conséquences sur les œuvres en réserve ou des incohérences avec la politique muséale (réserves des musées de Troyes).
Une des manières de rentabiliser des réserves aux yeux des élus est de les ouvrir à la visite, mais cela se heurte aux exigences de sécurité dans les bâtiments. La situation peut varier selon que les réserves sont situées dans un bâtiment neuf (Reims) ou dans un ancien entrepôt reconverti (musées de Strasbourg). Dès sa conception, le Mucem a prévu une salle de 950 mètres carrés au sein des réserves pour exposer des sélections d’œuvres. Marie-Charlotte Calafat, directrice scientifique et directrice des collections, rappelle que « tout visiteur peut demander à consulter des œuvres en réserve dans la salle de lecture », à l’image du fonctionnement des bibliothèques et archives. Cette ouverture au public implique « des aménagements particuliers, des espaces de circulation adaptés, ainsi qu’une présentation des objets en caisses ouvertes ». Le CCL du Louvre, lui, n’est pas ouvert aux visites sauf lors des Journées européennes du patrimoine, au motif que le Louvre-Lens à proximité ouvre ses réserves aux visiteurs.
Les réserves restent globalement des lieux confinés, car l’atmosphère doit y être contrôlée (hygrométrie, poussières, moisissures, luminosité, nuisibles). La plupart des réserves sont organisées par matériaux et par dimensions, les œuvres en matières organiques et les œuvres monumentales étant par nature plus compliquées à conserver. Au CCL, la directrice déléguée précise que la réserve de peintures grand format « a été pensée pour pouvoir accueillir la plus grande toile conservée au musée, Intérieur de l’abbaye de Westminster à Londres, par Alaux » (66 mètres sur 19, stockée roulée). En comparaison, les collections de minéralogie ou de lapidaires sont plus simples à conserver malgré le nombre de pièces, car elles ne nécessitent pas de climat contrôlé.
L’enjeu des rayonnages
La réflexion des conservateurs porte aussi sur le mobilier des réserves et le type de rayonnages : Marie-Lys Marguerite précise ainsi que les étagères à déplacement électrique (compactus) limitent au maximum les vibrations, car leur installation a été intégrée aux lots de construction avec les dalles de sol. Patrice Moreau explique avoir commandé pour le Musée de l’hospice Saint-Roch des « grilles à tableaux extractibles de trois mètres sur quatre spécifiquement pour les grands formats dans les premières réserves du musée ». Robert Blaizeau cite de son côté la nécessité de réaliser une étude de portance des sols pour des charges très lourdes (plus de 900 kilogrammes au mètre carré). Tous les directeurs d’établissement soulignent enfin l’enjeu des zones d’emballages et des zones de transit, qui occupent de l’espace tout en facilitant la manutention dans un contexte de multiplication des expositions temporaires. Les œuvres et objets en réserve n’ont cependant pas tous vocation à être exposés, et les réserves conservent aussi des objets pour leur intérêt scientifique : les réserves muséales doivent donc être organisées pour maintenir un équilibre entre conservation, étude et valorisation.