Je me pose cette question seulement pour ce qui concerne les galeries « découvreuses » qui sont trois fois moins nombreuses qu’il y a trente ans…Car pour ce qui est des galeries « récolteuses » et de placement financier , ça va plutôt bien , en tirant aujourd’hui profit du travail effectué hier par les galeries prospectives disparues…Ce qui implique, que sans galeries découvreuses aujourd’hui, il n’y aura pas de galeries récolteuses demain… simple logique dans l’absurde destructeur de l’éco-système naturel tel qu’il était il y a trente ans.
On connait de nombreux galeristes, chercheurs et révélateurs d’art frais, libre et sauvage, qui ne voient presque plus personne entrer chez eux, et qui continuent, malgré leurs difficultés financières , par pure passion et grâce à quelques revenus annexes venant d’un conjoint , d’une retraite, d’une activité annexe ou d’autres ressources.
On connait des galeries encore récemment prospectives, mais sans revenus annexes, qui sont aujourd’hui obligées, pour ne pas mettre la clef sous la porte, se s’aligner sur l’idéologie dominant et de perdre leur âme en exposant des haricots de Claude Viallat, des raclures de Supports-Surfaces, du bidule de FRAC, de la bouse steetarteuse de Blek le Rat, de Wils, de Roa, de Spy, de Gniark, de JR ou de Pofpof, des dégoulinures forestières de Fabrice Hyber, de la croute néo-figuarativo- paysagère conceptualisée, pire encore : du Non-Fungible Tokens, ou « jetons non-fongibles ».
On connait des galeries de placement pur
… qui, sans aucune vergogne , expliquent au client qu’il faut acheter une petite bâche avec empreintes d’éponges de Viallat , à 25 mille euros – car elle vaudra le triple dans dix ans…Quand ils savent bien que ce même client pourrait acheter 25 œuvres à mille euros d’artistes peu connus mais dont la valeur artistique intrinsèque de chacune est dix mille fois supérieure à la vacuité spongieuse d’un Viallat.
On connait aussi ces galeries hybrides privée-public, toujours aussi florissantes dans le milieu fermé de l’art subventionné dit contemporain. Elles sont étroitement liées à la DRAC et à l’Eole des Beaux-Arts locales. Municipales, mais de haut niveau d’entre-soi international, elles n’ont pas de public autre que celui des circuits locaux de la dextre cultureuse identitaire branchée. Elles présentent les derniers produits sortis dans le genre inregardable posturo-conceptualo-bidulaire que personne n’achète hors les FRAC, les MAC, les GNAC , ou quelques gros entrepreneurs locaux en mal d’affichage culturel, ou quelques cultureux middle class friands de petits signes d’appartenance de classe.
Il y a donc de quoi s’inquiéter
… quand on voit disparaître ces galeries prospectives, qui étaient les gardiennes du sens et des valeurs permanentes, qui produisaient de la richesse patrimoniale et qui constituaient la partie centrale des mécanismes de reconnaissance, de légitimation et de la valorisation de la création.
Mais il y a aussi de solides raisons d’espérer
… quand on voit la richesse et la diversité d’une création indépendante des diktats ministériels, telle qu’elle est montrée dans le nicolemusem.fr notamment.
… quand on voit se reconstituer un réseau alternatif de reconnaissance et de diffusion, avec des centaines de lieux d’exposition plus périphériques : ateliers d’artistes petits et grands salons d’artistes, galeries « différentes », galeries nomades , lieux d’art privés ou associatifs très excentrés à la campagne et dans les édifices patrimoniaux. etc… Autant de lieux de vie artistique qui restent bien sûr, ignorés du service public de la culture et des « inspecteurs de la création » du Ministère (oui, ils existent)
De toute manière, le système institutionnel déshumanisant, n’ « aura pas la peau » de l’art et des artistes … C’est lui qui tombera à terme, le premier, faute de public et d’argent public.
Les raisons de cette disparition sont multiples
J’en ai fait une liste avec l’aide de quelques galeristes amis.es. Je vous la joins ici. Elle est sans doute à compléter et rectifier ( vos suggestions sont les bienvenues) . Elle pourrait intéresser une sociologie de l’art sérieuse, si celle-ci avait le droit d’exister en France…et si les statistiques « ethniques » étaient permises pour identifier les tribus, les communautés les sectes et les rituels dans ce monde extra-humain de l’art « contemporain ».
- le rôle qu’a joué, depuis quarante ans, le Ministère de la culture pour privilégier l’art mondialisé conceptuel et postural, et pour disqualifier l’art de la mise en forme sensible et du poétique que ce marché propose…Un ministère qui a brouillé et ringardisé ainsi tous les repères esthétiques permanents et universelsLa perte de sens et de foi en l’art, indirectement générée par les excès du grand marché spéculatif de type banane scotchée, et par la sur-intellectualisation des produits agréés par l’Etat
- La perte de sens et de foi en l’art, indirectement générée par les excès du grand marché spéculatif de type banane scotchée, et par la sur-intellectualisation des produits agréés par l’Etat
- L’inexistence de syndicat ou de structure associative pouvant fédérer les trois mille galeries françaises. Hors le CPGA-Comité professionnel des Galeries d’Art, qui possède la fonction plutôt inverse de privilégier une « auto-sélection » de 346 galeries de haut-niveau de contemporanéité et d’internationalité, agglutinées autour des financial-galleries multinationales telles que ,Perrotin (la banane) , Gagossian, Ceysson, Almine Reich, etc. Un Comité qui semble donc n’avoir comme seul but, que de ringardiser les galeries de proximité à visage humain, à seul fin de favoriser le marché spéculatif dit « professionnel »..
- L’avènement d’internet qui donne directement accès aux artistes et à leurs œuvres, qui court-circuite donc le travail des galeries, en bousculant de fait leur rôle d’intermédiaires, de découvreurs, d’experts et de marchands.
- Le rôle affaibli d’une critique d’art en partie inféodée aux grands réseaux institutionnels et financiers. (les journalistes spécialistes des cours sur le marché et les conseillers en placements bancaires ont remplacé, en tant qu’experts, les vrais critiques d’art qui ont presque tout perdu de leur rôle de chercheurs et de prescripteurs auprès des amateurs et acheteurs.)
- Le désintérêt des medias, leur éclatement et leur médiocrité globale. Une critique d’art très réduite en quantité : il y a 30 ans, chaque journal de province et chaque grand hebdo avait son critique d’art.
- L’inexistence de revues d’art vraiment indépendantes et prospectives, dans la mesure où elle sont toutes tributaires, moins d’un lectorat que des annonces publicitaires « à décrocher » auprès des riches lieux subventionnés et/ou acteurs du grand marché spéculatif.
- La floraison des sites de vente ou galeries en ligne, générant une sorte d’« ubérisation » du marché et un isolement individuel de l’artiste.
- Le faible niveau d’éducation artistique au collège, au lycée, voire dans les écoles dites « des Beaux-arts » rongées par l’intellectualisme abscons
- Le désintérêt apparent des économistes, sociologues, psychologues, philosophes, anthropologues, historiens-critiques d’art pour cette désaffection à l’art que mêmes les guerres n’ont pas produite, et dont ils devraient être les premiers à se préoccuper.
- La baisse générale du pouvoir d’achat d’une classe moyenne d’acheteurs et amateurs d’art entre 35 et 60 ans. Baisse qui va s’accentuer avec les mesures fiscales qui accablent cette classe moyenne au profit des très riches, qui vont continuer de rendre florissant le grand marché du business-art sur fond de paupérisation du marché de l’art qui nous concerne
- L’acculturation grandissante des personnes dites riches, naguère plus ou moins mécènes…
- Le pessimisme ambiant lié aux incertitudes du monde actuel.
- Le primat de l’achat placement et/ou signe d’appartenance sur l’achat-émotion sincère plus ou moins « démodé ».
- Le rôle néfaste des galeries subventionnées et de leur « conceptualisme » global.
- La prolifération américanisée des sous-produits du pop-art et du street-art.
- Le prix de vente des œuvres d’art beaucoup trop élevé en général, surtout pour la peinture.
- Le manque de solidarité et d’organisme fédérateur entre les galeries pour défendre un intérêt commun au-delà des différences de toutes sortes.
- Le manque de loyauté de beaucoup d’artistes, pour qui la galerie est une vitrine et qui vendent « en douce » dans leur atelier aux acheteurs qui les pourtant ont découverts à la galerie.
- Le déferlement d’images de toute sorte. Leur rapidité. “Trop d’images tue l’image“…
- La peur des responsables politiques, d’être réactionnarisés s’ils interviennet…Quand par ailleurs ils ne cessent de chanter les bienfaits du développement culturel…
- Le désintérêt de la plupart des enseignants d’art eux-mêmes et des professeurs d’histoire de l’art (un comble tout de même !) , qui ne fréquentent même pas les galeries prospectives de leur ville et n’incitent pas leurs élèves à les fréquenter… quand ils n’expriment pas leur mépris à leur endroit ou ne dénigrent pas leur manque de « contemporanéité »
- Les ravages de l’IA ,qui va pouvoir produire des oeuvres sans les artistes , mais aussi les textes qui iront avec… De telle sorte que les œuvres de pure virtualité remplaceront les œuvres de pure conceptualité et que l’art, les artistes , les galeries et les amateurs d’art disparaitront ensemble de la surface terrestre
les « ravages de l’IA, non mais je rêve!