Je vous livre ici l’article du Monde sur le Palais de Tokyo (« Paltok » pour les intimes branchés), temple de l’art archi-contemporain archi-parisien, « tremplin effervescent de la jeune création » (voir images jointes) , lieu de vertueuse collusion entre le « service public » et les grandes entreprises privées en mal de défiscalisation, etc…
Prenez le temps de le lire tranquillement et vous y apprendrez toutes sortes de choses très édifiantes sur la nature profonde de ce fibrome affectant l’appareil institutionnel:
- qu’il a été conçu sous le Ministère Trautmann à la fin des années 90que ses premiers directeurs furent le fameux « esthéticien relationnel » Nicolas Bourriaud et le célêbre Dj- ambianceur des nuits parisiennes , Jérôme Sans qui déclarait alors : « On voulait un lieu pour les orphelins de la culture, ceux qui n’avaient pas d’endroit où s’exprimer. » …Ben voyons !
- qu’Emma Lavigne vient d’en quitter la direction pour aller prendre celle de la Bourse de Commerce de François Pinault (une perte irréparable pour le service public, disent certains…)
- Que Sarkozy l’avait soutenu , parce qu’il avait vite compris « l’intérêt politique de faire de l’art contemporain un projet national. »… lui qui n’avait lancé aucun grand chantier culturel pouvait ainsi, in extremis, se targuer d’avoir sauvé le temple de l’art le plus débridé.
- Que c’est là qu’un plasticien émergent a trouvé, dans une botte de foin une aiguille que Jean Carrelet de Loisy d’Arcelot, alors directeur du lieu, y avait jeté exprès. (voir 2 images jointes)
- Qu’il a été , un moment, rebaptisé « Palais durable » à l’occasion d’une exposition des parfums Guerlain, très fervents d’écologie et défenseurs des abeilles.
- Que cette nouvelle et récente vocation écologique, s’élargit aujourd’hui en un wokisme de plus en plus affirmé, affectant aussi l’intérieur-même des entreprises mécènes( voir les expos actuelles avec notamment celle d’Aida Bruyère, qui « évolue en marge de la culture dominante, avec des gestes et des représentations qui se construisent avec et en réaction à des images préconçues, colonisées, sexualisées et politiques du corps. » https://lagazettedenicole.art/index.php/zeu-blog/
- Qu’avec l’expo actuelle intitulée « Six continents ou plus », il s’agit rien de moins que de « décentrer les regards, décoloniser les imaginaires et redonner place à l’humanité dans un monde fracturé et conflictuel »… et faire ainsi converger les luttes des minorités avec celles des entreprises du CAC 40, dans une intersectionnalité du meilleur aloi.
- Que les street-artistes s’y donnent rendez-vous et qu’il y existe une boutique-librairie grillagée baptisée Blackblocks…
Voici le texte de Madame Azimi du Monde :
Temple de l’art contemporain, le Palais de Tokyo fête ses 20 ans en regrettant l’éclat de ses débuts
Le 21 janvier 2002 était inauguré un centre d’art contemporain dans le Palais de Tokyo, à Paris. Vingt ans plus tard, la pandémie a remis en question un modèle autrefois gagnant, fondé sur la location d’espace et le mécénat.
Le Palais de Tokyo, à Paris, le 6 janvier. Le bâtiment fut construit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1937.
Le bureau du président du Palais de Tokyo ne ressemble que très peu à celui d’un président d’institution culturelle française. Bien sûr, la vue sur le ciel de Paris donne une impression de prestige. Et les dossiers à signer et à parapher s’empilent. Mais il n’y a, ici, rien du cérémonial qu’on trouve ailleurs. Il n’y a à proprement parler même pas de bureau, mais une immense table circulaire qui invite au désordre et aux réunions collectives.
C’est ici qu’a travaillé pendant quelques années Emma Lavigne, conservatrice passée par de nombreux musées français nommée en 2019 à la tête du Palais de Tokyo, le plus vaste centre d’art contemporain d’Europe. En octobre 2021, elle le quittait pour diriger la collection Pinault, à la Bourse de commerce de Paris, laissant la place vacante.
Le 10 janvier, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, annonçait le nom de son successeur, le commissaire d’exposition Guillaume Désanges. C’est donc ce quadragénaire, inconnu du grand public, qui n’a jamais dirigé d’institutions mais que le petit monde de l’art parisien considère comme l’un des cerveaux les plus affûtés du moment, qui prendra ses quartiers dans le bocal atypique au dernier étage du Palais de Tokyo.
Nouvelle tête au « PalTok »
Pendant la vacance de la présidence, le processus de remplacement s’est enclenché. De même que pour le Louvre, le Centre Pompidou et le Musée d’Orsay, un projet a été demandé aux éventuels candidats, sur une dizaine de pages, sans qu’il soit précisé qui le lirait. Dans ce genre de nomination, les procédures sont opaques et les jurys sans visage.
Des noms ont circulé, comme celui de la curatrice argentine Victoria Noorthoorn qui, bravant la pandémie, a payé son billet aller-retour Buenos Aires-Paris pour participer à une audition express, Rue de Valois. Avant de repartir bredouille. En lice aussi, le conservateur d’une fondation privée, la directrice d’un grand musée en région, ainsi que l’ancien directeur adjoint du Palais de Tokyo dans les années 2000 Mark Alizart, philosophe spécialiste du désordre climatique et auteur d’un ouvrage savant sur les chiens aux PUF.
Contrairement aux grands musées parisiens à la charge symbolique très forte, tel le Louvre ou Orsay, qui ont connu un récent mercato, le centre d’art du 16e arrondissement n’a pas suscité la même appétence. Ici, pas besoin de jouer des coudes ou de procéder à des manigances. Et le président de la République n’a pas reçu Guillaume Désanges. Pour remporter la mise, ce dernier n’a donc pas dû intriguer auprès des hautes sphères.
« Je n’ai pas de réseaux occultes », sourit-il. C’est par son attention portée à l’écologie parfois la plus radicale et aux mouvements politiques alternatifs et rebelles qu’il a convaincu la ministre de la culture et ses conseillers, qui l’ont auditionné à plusieurs reprises, Rue de Valois, ainsi que Rima Abdul-Malak, l’influente conseillère culture de l’Élysée.
A l’intérieur du Palais de Tokyo.
Pour autant, le poste est d’envergure. Car le « PalTok », comme le surnomment les gens du milieu, a l’habitude de faire sensation. Ce fut le cas, exemple le plus récent, à l’automne 2021. À l’invitation d’Emma Lavigne, l’artiste allemande Anne Imhof s’était emparée de l’intégralité du Palais. Dénudant jusqu’à l’os les murs et les moindres recoins du bâtiment, elle avait insufflé un esprit punk au lieu, exposant ses sculptures aux côtés des œuvres d’autres grands noms de l’histoire de l’art – Sigmar Polke, Eva Hesse, Wolfgang Tillmans.
Pour les derniers jours de son exposition, la lauréate du Lion d’or de la Biennale de Venise en 2017 avait organisé des performances. Pendant quelques jours, les réseaux sociaux ont frémi devant les images de sa compagne, l’artiste-mannequin Eliza Douglas (proche de la maison Balenciaga), en train de chanter, de crier, de se verser des litres de cire chaude sur le corps.
Des corps effilés, taillés pour des raves, paradaient, crapahutaient, les yeux hagards, ou s’enfonçaient dans l’eau gelée des bassins du Trocadéro. Le public, en majorité constitué de jeunes gens aux tenues similaires à celles des performeurs, frissonnait lui aussi. La transe païenne a attiré pas moins de 15 000 spectateurs en neuf soirs.
Pas de collection en propre
Un succès impressionnant qui en ferait presque oublier les problèmes. Car, alors que le Palais de Tokyo fête, ce 21 janvier, le vingtième anniversaire de son ouverture au grand public, la pandémie a fissuré ses fondements. À l’image de nombreux musées et centres d’art soumis aux fermetures et à la baisse du tourisme, la fréquentation a chuté (295 000 visiteurs en 2021 contre 590 000 en 2019) et les locations d’espace (l’un des piliers du financement du Palais) sont à l’arrêt.
Les défilés de mode – le Palais en accueillait une cinquantaine par an avant le confinement – ont ainsi souvent basculé en ligne. Contrairement au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, son jumeau et voisin de parvis, il ne dispose pas d’une riche collection de Matisse, Picasso ou autres Modigliani mentionnée avec trois étoiles dans tous les guides touristiques, et c’est bien normal car les centres d’art n’ont pas pour vocation de constituer des collections.
Enfin, l’édifice lui-même, construit pour l’Exposition universelle en 1937, n’est plus étanche, au sens propre : la pluie s’y invite. Le ministère de la culture a d’ailleurs commandé, fin 2021, un audit en vue de futurs travaux.
Si, aujourd’hui, le Palais de Tokyo est au centre de toutes les attentions, c’est pour de multiples raisons. Il est le plus vaste centre d’art d’Europe, avec 22 000 mètres carrés de superficie. Il se situe à Paris, dans un bâtiment emblématique. Ses expositions, souvent pointues, voire ardues, désarçonnent parfois les visiteurs. Il est la seule institution parisienne à proposer des projets d’ampleur venant d’artistes peu connus. Enfin, il dépend de l’argent public mais aussi de celui de mécènes, notamment le géant de l’énergie Engie, et de la location d’espace.
Un ovni en plein Paris
C’est en 1999 que la ministre de la culture, Catherine Trautmann, décide d’installer dans le bâtiment gris – qui a abrité les collections du Musée national d’art moderne (avant leur transfert à Beaubourg), le Centre national de la photographie puis l’école de cinéma de la Fémis – un centre d’art contemporain consacré à la jeune scène. Ce dernier occuperait près de 10 000 mètres carrés du massif Palais de Tokyo, le reste étant laissé inoccupé.
Elle a alors en tête Beaubourg, en guise de contre-exemple. Ouvert en 1977, le Centre Pompidou s’est en effet institutionnalisé, proposant des expositions d’artistes ou de mouvements déjà consacrés, délaissant l’avant-garde et la pluridisciplinarité de ses débuts. Les pouvoirs publics veulent un lieu alternatif.
La direction du Palais est alors confiée à un tandem, l’intuitif et extraverti Jérôme Sans et l’intellectuel et plus réservé Nicolas Bourriaud. Une alliance des contraires. Multipliant les expositions dans le monde en tant que commissaire, le premier est DJ à ses heures perdues. Le second est historien de l’art et auteur d’un livre, Esthétique relationnelle, qui a marqué les plasticiens de la fin des années 1990.
« On voulait un lieu pour les orphelins de la culture, ceux qui n’avaient pas d’endroit où s’exprimer. » Jérôme Sans, codirecteur du Palais de Tokyo en 2002
Une grande fête est organisée pour l’inauguration. Ce 21 janvier 2002, dès midi, la foule s’engouffre dans la carcasse grise dénudée, réhabilitée « avec respect » – comprendre au minimum, façon usine désaffectée –, par les architectes bordelais Lacaton et Vassal. « On nous disait : “Mais ce n’est pas fini ! Qu’ont fait les architectes ?” », se souvient, amusée, Gisela Blanc, alors chargée de recruter des mécènes pour cet ovni.
« C’était une ambiance berlinoise, déglingue, mais joyeuse », témoigne Anne Racine, alors chargée de communication de la délégation aux arts plastiques Rue de Valois. À l’époque, le monde de l’art contemporain se résume à peu de grandes galeries à Paris et à une poignée de lieux publics installés en région. Les fondations privées n’existent pas encore. Les noces de l’art contemporain et de la mode ne sont pas encore scellées.
« Personne n’y croyait », rembobine aujourd’hui Jérôme Sans, 61 ans, silhouette indémodable de dandy cravaté aux faux airs de David Lynch. À l’affiche, du neuf, des artistes jamais ou rarement exposés en France. Le Béninois Meschac Gaba imagine une aire de jeu sous l’escalier. Le Thaïlandais Surasi Kusolwong installe un marché d’objets en plastique. Le duo scandinave Michael Elmgreen & Ingar Dragset expose une cellule de prison démolie.
Sur le parvis du Palais de Tokyo, une nymphe sculptée par Auguste Guénot.
« Ça ne ressemblait à rien de ce qu’on connaissait », témoigne Claire Staebler, qui y faisait ses premiers pas de commissaire d’exposition. Le soir de la fête, la bière coule à flots, ainsi que le cognac Hennessy, sponsor de la soirée. Aux platines, Pedro Winter fait déferler les notes d’électro des précurseurs de la French touch. À l’extérieur, la file de visiteurs s’étire jusqu’à la place de l’Alma.
Les jeunes en sont fans – les moins de 25 ans représentent toujours un quart du public du Palais de Tokyo. « On voulait un lieu pour les orphelins de la culture, ceux qui n’avaient pas d’endroit où s’exprimer », résume Jérôme Sans. Les street-artistes s’y donnent rendez-vous. Imaginée par le graffeur André, une figure de la nuit parisienne, la boutique-librairie grillagée baptisée Blackblock s’inspire, selon ses mots, « des stations-service des banlieues scandinaves ». Dans des vitrines-frigos s’alignent gadgets et divers objets d’artistes.
Banksy, qui n’était pas encore une star planétaire, bombe son empreinte sur une colonne du hall, aujourd’hui protégée, telle une relique, par une plaque de Plexiglas. Avec le duo d’artistes Kolkoz, André orchestre même un concours de résistance aux psychotropes et aux anxiolytiques jusqu’à perdre connaissance. « On avait une liberté qui serait impensable aujourd’hui », se souvient le graffeur.
Tremplin effervescent pour la jeune scène
Cette effervescence arrive à un moment critique. La FIAC, Foire internationale d’art contemporain, est à bout de souffle. Un rapport implacable du sociologue Alain Quemin dresse, en 2001, un sombre tableau : l’art contemporain français a perdu toute influence internationale. Les jeunes artistes rongeaient leur frein, faute de visibilité.
Tout à coup, au Palais, ils trouvent le tremplin qui leur manquait. Et le monde, qui n’avait d’yeux que pour l’énergie déglingue de Berlin ou de Los Angeles, se tourne enfin vers Paris. Après avoir été exposés au Palais en 2006 dans l’exposition « Notre histoire », radiographie partielle (et partiale) de la jeune scène hexagonale, les plasticiens Adel Abdessemed et Tatiana Trouvé explosent dans le monde entier.
En 2008, l’artiste conceptuel Loris Gréaud, du haut de ses 29 ans, se voit même consacrer une pleine page dans le New York Times après avoir investi, comme un grand, un espace de 4 000 mètres carrés. « Il y a eu pour moi, comme pour d’autres, un avant et un après-Palais de Tokyo », reconnaît l’artiste Laurent Grasso, qui mène lui aussi sa barque dans le monde entier.
Une performance vidéo signée de l’artiste Jonathan Jones, actuellement exposé au Palais de Tokyo, en collaboration entre le poète Jazz Money
Les critiques, effacées par le temps, ne manquent pas. Libération tance « l’idéologie de la convivialité » quand Le Figaro décrie des expositions jugées « absconses ». Sans et Bourriaud n’en ont cure. Nommé en 2006, leur successeur, le Suisse Marc-Olivier Wahler, prolonge leur folie, à la sauce helvétique.
Ce collectionneur de culottes de peau bavaroises, grand amateur de strudels, est un fauteur de troubles qui signe une programmation particulièrement variée. Jean de Loisy, à partir de 2011, laissera aussi parler sa nature de feu follet. En 2018, il invite l’artiste Neïl Beloufa – et son curateur Guillaume Désanges – à chahuter l’espace avec des robots de stockage des entrepôts Amazon qui réorganisent en temps réel les œuvres de l’exposition. Un brouhaha visuel et sonore dont le public ressort aussi sonné que fasciné.
Multiplication des levées de fonds
Au fil du temps, pourtant, des murs blancs se sont dressés, les espaces se sont cloisonnés. La scène française que le Palais incarnait s’est assagie. Son temple également. À la caravane qui, au début, faisait office de billetterie s’est substituée un comptoir, comme dans les musées classiques. Fini les tables communes de la cafétéria, le café à 1 euro, la bière à 2 euros. Jean de Loisy le reconnaît, « le Palais de Tokyo s’est embourgeoisé, j’y ai le premier contribué ».
Pas simple de se remettre en jeu à chaque exposition. Surtout, il est difficile de trouver de l’argent : 60 % des ressources viennent du privé.
La concurrence aussi est grande. En vingt ans, la Fondation Vuitton, la collection Pinault, les grosses galeries internationales ont émergé. Périodiquement se pose aussi la question de l’avenir du Palais. Mark Alizart n’a pas oublié ce 31 janvier 2007, dans le forum du Centre Pompidou. Il fait partie de la foule compacte qui écoute Jacques Chirac célébrer le trentième anniversaire du bâtiment.
Tout va bien jusqu’à ce que, patatras, le président annonce que Beaubourg pourra utiliser les 10 000 mètres carrés inoccupés du Palais de Tokyo. Claude Pompidou, à ses côtés, hoche la tête. Le président du Centre Pompidou, Bruno Racine, ne bronche pas : de toute façon, il est sur le départ. Murmures dans la salle. « J’ai fait gloups », se souvient aujourd’hui Mark Alizart, entre deux gorgées de jus de tomate. Le philosophe, alors directeur adjoint du Palais de Tokyo, en est sûr : « Beaubourg voudra tôt ou tard l’ensemble du bâtiment. »
Mais l’élection présidentielle change la donne. En mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu. Certes, l’art contemporain n’est pas son affaire, mais l’homme de la rupture n’a pas la moindre envie de faire de cadeau à son prédécesseur. Et entre son jeune conseiller culture, Éric Garandeau, et Mark Alizart, le courant passe bien.
Deux ans de tribunes, de pétitions, de bras de fer dans les couloirs de la Rue de Valois et de l’Élysée plus tard, le projet que Beaubourg absorbe le Palais de Tokyo tombe à l’eau. Lorsque, en 2011, Mark Alizart rejoint le cabinet de Frédéric Mitterrand, nouveau ministre de la culture, il insiste pour consolider le Palais de Tokyo en lui attribuant l’intégralité du site.
Le miroir d’eau central sur le parvis du Palais de Tokyo.
En 2012, Sarkozy tranche : la totalité du Palais de Tokyo sera consacrée à l’art actuel le plus turbulent. Et le tacticien Alizart de décrypter : « Sarkozy a compris l’intérêt politique de faire de l’art contemporain un projet national. » Le chef de l’État, qui n’avait lancé aucun grand chantier culturel pouvait ainsi, in extremis, se targuer d’avoir sauvé le temple de l’art le plus débridé.
Mais le cadeau est empoisonné. Le lieu était grand, il est devenu immense. Pas simple de réchauffer une Factory de béton vide et de se remettre en jeu à chaque exposition. Surtout, il est difficile de trouver de l’argent : 60 % des ressources viennent du privé. Les dirigeants eux-mêmes doivent s’improviser leveurs de fonds. Avec sa tchatche d’enfer, Jérôme Sans avait décroché à ses débuts un partenariat avec le groupe Bloomberg. Wahler avait convaincu sa compatriote, la collectionneuse Maja Hoffmann, de signer des chèques. Le sourire gourmand et la faconde de Jean de Loisy avaient fait mouche auprès de la maison de champagne Roederer et du constructeur automobile Audi.
Une boîte de nuit est ouverte, le Yoyo, dans les anciennes salles de cinéma. Et de juteuses concessions sont signées avec Laurent de Gourcuff, un maître de la nuit qui ne danse pas, ne boit pas, mais sait flairer l’air du temps. Comme le restaurant Monsieur Bleu ou encore sa dernière table, Bambini, ouverte à l’été 2021 au Palais, qui attire davantage les familles aisées du 16e arrondissement que le public arty des débuts.
Résultat, entre 2012 et 2018, le Palais triple ses rentrées d’argent. Jusqu’à ce que, en 2020, la pandémie sonne la fin du match. « J’étais préparée, mais c’est devenu difficile », admet Emma Lavigne, depuis son bureau de la Bourse de commerce.
Un modèle mis à mal
Le ministère de la culture a bien perfusé le Palais de quelque 5,2 millions d’euros sur trois ans, le temps qu’il se remette du Covid long qui plombe les lieux culturels. Mais comment boucler le budget d’un centre d’art qui, bien que l’État en soit l’actionnaire unique, dépend aux deux tiers de ressources propres ? « Le business plan ne permet plus d’expérimenter, au risque de se tromper », se désole Marc-Olivier Wahler, qui pilote aujourd’hui le Musée ethnographique de Genève.
« Ce modèle a ses fragilités, mais il tiendra encore, il a en lui les gènes de l’audace. » Guillaume Désanges, directeur du Palais de Tokyo
Le Palais semble gagné par la maladie du « trop » : trop grand, trop intimidant, trop dépenaillé. Un modèle à bout de souffle ? « Ce modèle a tenu vingt ans, confie Guillaume Désanges, il a ses fragilités, mais il tiendra encore, il a en lui les gènes de l’audace. »
« Sans se bouger les fesses, affirme Jean de Loisy, le Palais dispose déjà de 8 millions d’euros de subventions publiques, de 3 millions environ provenant des concessions (les loyers des restaurants et des bars) et au moins autant avec la location d’espaces (pour des événements comme des défilés de mode). » Quatorze millions d’euros, donc, sans compter les chèques des mécènes. Pas assez, pourtant, pour imaginer tous les jours des folies façon Anne Imhof.
Le Tokyo Art Club, créé en 2009 par les mécènes privés du centre d’art, accueille une programmation artistique réservée à certains membres des Amis du Palais de Tokyo.
Au point que le scénario d’une fusion avec le Centre Pompidou ressort régulièrement. Jusqu’à encore très récemment, le bruit a couru dans le monde de l’art parisien d’une possible annexion. Mais, à l’occasion de sa première conférence de presse, en octobre 2021, Laurent Le Bon, le nouveau président de Beaubourg, a pris soin de démentir cette persistante rumeur. « Jamais, sous ma présidence, le Centre Pompidou ne sera intéressé à se développer dans les espaces du Palais de Tokyo », a-t-il assuré, la main sur le cœur.
Le quinquagénaire s’adressait aux journalistes depuis le parking de Beaubourg, où il avait tenu à organiser la conférence de presse. Le décor était froid, les murs de béton rappelaient, curieusement, l’esprit d’une friche. Comme si le Centre Pompidou voulait signifier à son petit frère du 16e arrondissement qu’il était toujours le plus avant-gardiste.
très interressnt