Picasso disait : « je ne cherche pas, je trouve » , autrement dit « je ne me pose pas de questions, je fais ».
Un autre peintre très connu répondait à qui l’interrogeait sur le pourquoi de sa peinture : « demandez-vous à un pommier pourquoi il fait des pommes ? », parce qu’en effet, si le pommier commence à se poser des questions sur ses raisons de pommer, il devient vite malade, dépressif et irrémédiablement stérile.
Et c’est ainsi que nous assistons aujourd’hui, dans l’art dit contemporain, à la disparition progressive du faire au profit du questionnement sur le faire , à l’exemple de Claude Rutault, artiste majeur de la scène française, qui vient d’exposer à la Financial art gallery Emmanuel Perrotin à Paris, qui peint des monochromes de la couleur des murs où ils sont accrochés, et dont « l’enjeu du travail est celui d’un questionnement des conditions d’apparition de la peinture dans l’espace social, beaucoup plus que de déterminer un protocole de création des œuvres à l’aide de concepts. »
Aujourd’hui, on ne peint donc plus, on convoque, on interpelle et on questionne la peinture dans ses rapports avec à peu près tout (voir plus loin la liste officielle des sujets de questionnement). On interroge l’art à fond, on fait ce que Jean-Philippe Domecq appelle de l’art sur l’art, on cérébralise au maximum. Aujourd’hui, les neurones du cerveau des décideurs d’art s’interrogent eux-mêmes sur leur rôle là-dedans , ce qui provoque dans certains cas de questionnite aigue, une liquéfaction de la moelle et du tissu cervical dont le symptôme principal est une diarrhée verbale du type de celle dont sont affectés un grand nombre de chroniqueurs d’art actuels.
Aujourd’hui, la question branchée chez les nouveaux critiques à cheveux jaunes est celle-ci : « pourquoi y a-t-il de l’art plutôt que rien ? »… La question n’ est pas nouvelle, mais elle fait fureur dans le milieu, car ce rien au lieu de l’art leur permet de développer en boucle une méta-interrogation tirebouchonnée sur l’absence d’objet de cette même interrogation et donner ainsi libre cours à leur talent de sophistes mondains . D’où par exemple cette exposition sur le vide, organisée au Centre Pompidou en 2009, par Laurent Lebon, actuel directeur du Pompidou bis à Metz, occupant 5 immenses salles avec strictement rien dedans (sauf un type qui avait pissé dans un coin et que ça puait très fort), mais assortie d’un catalogue de 500 pages de commentaires et de questionnements sans objet identifiable, illisibles et que personne n’a d’ailleurs lues.
Un ample discours sur le non-faire, le non-sens et le non-contenu artistique remplace donc la matière proprement artistique et le faire substantiel déclaré désormais salissant, puant , rural et ringard. Le déconstruit questionne la validité du construit. La torture mentale remplace le plaisir esthétique. Le critique schtroumpf ne regarde désormais plus la peinture que par les oreilles ou les trous de nez . Anita Molinero, la crameuse de poubelles, remplace Germaine Richier, Grand Corps Malade remplace Bob Dylan, et Claude Rutault néantise la peinture pour triompher sur le marché de l’art financier. La subvention devient un soin palliatif pour une nécrose artistique généralisée maintenue sous perfusion d’argent public. Le douloureux questionnement existentiel du critique ou du fonctionnaire de l’art occulte le travail du vrai créateur, etc…
L’art contemporain devient donc le lieu d’une pandémie d’auto-fellationnite aigue ou de masturbationnite questionnatoire anxiogène et fermée sur elle-même, où se multiplient exponentiellement ces petits branleurs de l’interrogation à tout va, que sont nos têtards sodomiseurs de mouches , émergents sur la scène internationale….
Car cette questionnite est un contributeur indispensable au processus de dématérialisation de l’art dont la scène artistico-financière internationale a besoin pour cette titrisation du néant, c’est-à-dire pour la confection de produits spéculatifs sans contenu , appropriés à son économie, là aussi , de type virtuel… L’exposition de Claude Rutault chez Perrotin étant la preuve la plus éloquente de cette dématérialisation de l’art pour les besoins du grand marché.
Quelques exemples d’artistes questionneurs d’art.
J’ai passé une petite demi-heure sur quelques sites internet de FRAC et autres lieux de « l’insondable stupidité culturelle subventionnée » (comme dit l’un de mes correspondants et à quoi j’ajouterais au service de la grande spéculation…), pour vous cueillir au hasard et vous copier-coller, à titre de preuve et illustration de ce que vient de dire, ces quelques petits extraits où il est question …de questionnements sur l’art.
Claude Rutault : L’enjeu de son travail est donc celui d’un questionnement des conditions d’apparition de la peinture dans l’espace social, beaucoup plus que de déterminer un protocole de création des œuvres à l’aide de concepts.
Jordi Colomer : Son parti pris absurde vient très directement interroger la valeur que l’on doit prêter à cette « manière » de faire, mais, plus avant, il questionne avec acuité l’évaluation esthétique – et donc sociale et psychologique – de ce type de « monuments » dans notre environnement.
Walead Beshty : (artiste dont les œuvres ont récemment atteint des centaines de milliers de dollars chez Phillips de Pury et & Cie, maison de ventes propriété de magnats russe du luxe) Il réinterroge des expériences éprouvées il y a de ça près d’un siècle, pour constitue certainement l’amorce d’une réflexion plus globale sur le statut de l’héritage formel et conceptuel laissé par le vingtième siècle dont la dissection critique puis le dépassement démythificateur ouvrirait les portes de la contemporanéité.
Christian Jankowski : (Vient de vendre à Freeze-Londres un canot automobile Riva signé par lui pour 125 000 euros de plus) . Il pose de manière ludique la question de la relation entre film commercial et film artistique à travers un travail d’infiltration de l’art contemporain dans des lieux ou des contextes qui lui sont habituellement étrangers (d’où le canot automobile).
In extenso : Ces artistes interrogent les notions de traversée, de contamination, d’interaction ou d’illusion, qui semblent construites sur des zones d’ombre, laissant planer autour d’elles le mystère de leur conception.
Kaz Oshiro : Dotées a priori d’une faible valeur symbolique, ses œuvres se révèlent peu à peu d’une complexité telle qu’elles finissent à obliger les spectateurs à se poser les questions de la représentation et de sa mise en scène.
Eric Hattan : Qu’il s’agisse de l’espace urbain ou de celui d’un centre d’art, chaque situation est l’occasion d’un déplacement, d’un décentrement du regard, et d’une mise en question du sens donné.
Clemence Torres : Son exposition se développe autour de la perception du lieu, son appréhension et les mécanismes et instruments de mesure permettant de le saisir – distances, échelles, proportions -. Elle interroge parallèlement les relations entre les individus, les rapports de force, de rapprochement et d’interaction des uns avec les autres.
Dominique Blaise ; Son travail in situ a la capacité de métamorphoser la perception commune de l’espace . En permettant au spectateur de parcourir ce dispositif menaçant, il questionne les espaces de narration issus du théâtre et de l’exposition artistique.
Claire Healy & Sean Cordeiro : Ils développent un travail sculptural à travers une variété de médias. En explorant les matériaux de notre monde contemporain, ils soulèvent des questions sociopolitiques, comme la mondialisation, la culture médiatique, la consommation ou la propriété.
Angela Detanico et Rafael Lain : Ils nous invitent à bousculer nos repères et à nous interroger sur les systèmes qui organisent notre lecture du monde.
Meriem Djahnit : le travail de cette artiste interroge l’aspect tangible et aléatoire de notre position dans le monde, analyse le caractère transitoire de notre condition en tant qu’être physique, social et psychologique.
Nicolas Fournier : Siège de l’intimité et de la mécanique du vivant, le corps demeure pour les artistes contemporains le lieu d’interrogations existentielles que réactivent les mutations dues aux technologies du vivant.
Jean François Gavoty : Le vivant et le construit, le réel et le virtuel, le pérenne et le temporaire… sont des interrogations liées à la conception de tout projet urbain.
Gonzalo Lebrija : Questionne le décalage entre les mégas récits du progrès liés au modernisme et notre existence contemporaine individuelle.
Laurent Perbos : Toujours confrontées aux problématiques de formes, les productions de Laurent Perbos questionnent les potentialités sensibles et poétiques des objets issus de notre quotidien.
Laurent Pernel : La question est : alors que des impératifs très concrets liés aux travaux de l’espace d’exposition, ordonnancent le temps et l’espace, et remplissent le volume d’une sonorité toute entière constructive, comment faire naitre puis développer, au sein d’un chantier, un travail artistique qui demande du temps, du doute et de l’errement ?
Arnaud Pirou : Pour sa première exposition personnelle, il traite des grandes chaînes de fast food, dans une exposition très contextuelle qui pervertit les symboles, et joue avec les signes de la ville. C’est un prétexte pour convoquer des questions sociales et culturelles.
Raster Noton : Son exposition montre le caractère résolument hybride de cette plate-forme de création, tout en questionnant la position de l’artiste dans l’interface de l’acte individuel et de son inscription au sein du collectif.
Mathilde du Sordet : Ses sculptures ont été conçues spécifiquement pour cette exposition de groupe questionnant les notions de territoire et de déplacement.
Yann Toma : son travail est structuré autour de la société Ouest Lumière, questionne les messages et leur transmission par la mise en œuvre de systèmes parallèles.. Le lieu d’exposition devient le centre multi-modal d’un trafic quotidien de pigeons voyageurs porteurs de dépêches AFP. Chaque jour, ces dernières sont transformées en interrogations.
Bernard Bazile : Des mélanges de matières et d’images industrielles parfaitement maîtrisés interrogeant en permanence la question du goût et celle de l’autorité.
Knut Åsdam : réalise des films et des installations qui interrogent notre degré de conditionnement par l’espace urbain et nous incitent à le vivre de manière plus consciente.
Basserode : L’œuvre de Basserode se présente, depuis le début des années 1990, comme un questionnement autour des notions de « nature » et de « culture » et sur les conventions qui sont attachées à l’une et l’autre dans les représentations artistiques modernes et contemporaines.
Carla Arocha : Toutes interrogent la perception de l’espace dans lequel nous nous trouvons. Car l’espace est le matériau de prédilection de l’artiste. Ses œuvres l’intègrent et le transforment.
Hubert Duprat : L’œuvre d’Hubert Duprat prend sa source dans un questionnement critique des modalités de la création des objets d’art.
La liste officielle des objets de questionnement autorisés pour l’art contemporain
1. les conditions d’apparition de la peinture dans l’espace social,
2. la valeur
3. l’évaluation esthétique – et donc sociale et psychologique –
4. des expériences éprouvées
5. d’infiltration de l’art contemporain dans des lieux ou des contextes
6. les notions de traversée, de contamination, d’interaction ou d’illusion,
- la représentation et de sa mise en scène.
- l’espace urbain ou de celui d’un centre d’art,
- les mutations des structures de pouvoir
- la perception du lieu,
- les relations entre les individus, les rapports de force, de rapprochement et d’interaction des uns avec les autres.
- métamorphoser la perception commune de l’espace
- les espaces de narration issus du théâtre et de l’exposition artistique
- explorant les matériaux de notre monde contemporain,
- les questions sociopolitiques, comme la mondialisation, la culture médiatique, la consommation ou la propriété.
- les systèmes qui organisent notre lecture du monde.
- l’aspect tangible et aléatoire de notre position dans le monde,
- notre condition en tant qu’être physique, social et psychologique.
- la mécanique du vivant, le corps, les mutations dues aux technologies du vivant.
- le vivant et le construit, le réel et le virtuel, le pérenne et le temporaire…
- la conception du projet urbain.
- les mégas récits du progrès liés au modernisme
- notre existence contemporaine individuelle.
- les objets issus de notre quotidien.
- l’espace d’exposition,
- le temps et l’espace,
- des questions sociales et culturelles.
- la position de l’artiste dans l’interface de l’individuel et du collectif.
- les notions de territoire et de déplacement.
- matières et images industrielles
- le goût et l’autorité.
- notre degré de conditionnement par l’espace urbain
- « nature » et « culture »
34-la perception de l’espace dans lequel nous nous trouvons
35-Les modalités de la création des objets d’art
Inquestionner la non-question ?…That is the question !
Un commentaire envoyé par Christian Noorbergen (Critique d’art)
Accrocher au mur une toile d’une couleur X, puis peindre les murs de la même couleur X, ainsi le peintre questionnerait sa propre démarche auto-disparaissante, éclairant ainsi le public lui-même questionné dans la répétition de ses habitudes visuelles. Mise en abîme d’un questionnement chromatique infini. Ainsi l’artiste auto-disparaissant mettrait lui-même en question son propre questionnement d’origine en disparaissant au sein d’icelui. Questionner la question enfonce le clou conceptuel de la non-différence d’une couleur identique à elle-même, se répétant à l’infini dans l’œuvre et dans le mur. Le mur devient œuvre, l’œuvre se fait mur, la partie devient le tout, le tout devient partie, et la muralité indifférenciée s’auto-transcende. L’œuvre initiale et initiatique s’empare ainsi, par absorption contaminatrice, du tout qui l’insépare de ce qui l’environne. L’artiste inquestionne la non-question de la non-différence, et le même s’empare de l’altérité qui ne cesse de disparaître. …CCQFD